… Thierry Arensma travaille à la chambre photographique en format 4/5 inch avec du film Polaroid, dont la production a cessé il y a plusieurs années. Après sa prise de vue, Il récupère le négatif de ces films périmés, à partir desquels il va réaliser l’œuvre photographique. Contrairement à l’usage, il ne le clarifie pas, laissant le processus chimique agir. Puis, il fixe un moment donné du processus en le scannant : c’est la photographie que nous voyons, tandis que le négatif continue sa lente détérioration. Une esthétique “à l’ancienne” de la série “HK” résulte de ce processus mais aussi du choix d’un angle et d’un cadrage. Aucune retouche numérique de l’image, seule, la chimie a une incidence sur la chromie. Ce que nous voyons est une image pour ainsi dire brute, non recadrée, dans son entier format. La technique utilisée est un indice, une sorte de mise en abime du propos de l’œuvre : la question de la trace, trace que laisse le la chimie sur le négatif, mais aussi trace du temps qui, dans une ville comme Honk Hong, ne s’inscrit pas de manière linéaire mais dans la stratification. Ici, les univers se juxtaposent et cohabitent : la tradition et l’ultra contemporanéité, des architectures du 21ème siècle et des vestiges coloniaux, des temples de la consommation et aussi, de la spiritualité, mais encore, contraste saisissant que la plupart des photographies présentées montrent avec évidence : cohabitation du construit, de l’architecturé, de l’habité, et de la nature. Car, en vérité, la jungle n’est jamais très loin dans cette ville qui sans cesse repousse à plus loin la frontière avec la nature dans laquelle elle s’est installée, entre terre et mer, pour grandir encore. Partout, la nature la plus sauvage est là, presque au cœur de la ville, au milieu des buildings, persistante, impérieuse, résistante. L’atmosphère atemporelle et poétique qui se dégage de ces photographies donne une vision de Honk Hong à contre-sens. Ici pas de skyline,
de lumières de la ville, de frénésie des rues bondées, d’enseignes lumineuses, mais une sensation étrange de désuétude, l’impression d’un temps figé ou d’un espace hors du temps, hors des réalités économiques de cette ville pourtant une des plus importantes places financières du monde. Il ne s’agit cependant pas non plus d’un regard passéiste ou illusoirement nostalgique d’une Asie perdue et fantasmée, mais bien plutôt d’une vision qui met en perspective et interroge la modernité, et la place du vivant dans la ville.
La beauté de ces photographies agit très certainement depuis cette étrangeté produite de la rencontre inattendue du fond et de la forme, créant la vision d’une ville presque irréelle, fiction urbaine, sorte de Metropolis rétro-futuriste, comme une extension du réel.
Marie Deparis-Yafil
Curatrice et critique d’art